Prix « Woman Innovators 2019 » : Martine Caroff, pour l’avenir de l’immunothérapie

Comment évolue-t-on d’un poste de directrice de recherche au CNRS à celui d’entrepreneure innovante ?

Beaucoup diront que les passerelles entre la recherche académique et le monde industriel sont étroites et rares. Mais c’est sans compter sur la grande détermination de Martine Caroff qui a su créer des ponts pour relier les deux mondes. Elle a été parmi les premiers à croire au potentiel des endotoxines bactériennes pour augmenter les défenses immunitaires dans des applications médicales, tout en assurant leur innocuité. Plusieurs applications en découlent dans les domaines des vaccins, du diagnostic in vitro, des cosmétiques et de l’oncologie.

Le soutien de la CCI Paris Ile-de-France

Martine Caroff était « emplie d’émotions », quand on lui a remis le prestigieux prix européen « Woman Innovators 2019 », le 16 mai dernier lors du Salon international Vivatech. Une distinction décernée à 4 femmes, européennes et entrepreneures, ayant mis sur le marché des innovations révolutionnaires au bénéfice des citoyens européens. C’est Wioletta Zareba, conseillère à la CCI Paris Ile-de-France,  membre du réseau Enterprise Europe Network, qui a convaincu Martine Caroff de se présenter et l’a aidée à préparer son dossier. « J’ai candidaté pour donner de la visibilité à nos recherches » explique la chercheuse-entrepreneure.

Une éducation égalitaire

Le prix « Woman Innovators 2019 » ne distingue pas seulement l’innovation et l’entreprenariat, il vient aussi saluer une personnalité, source d’inspiration. L’humilité de Martine Caroff lui fait préférer le terme d’ambassadrice à celui d’exemple, dans un monde où la gente féminine n’a toujours pas sa juste place. « Sur l’estrade, j’ai pensé très fort à mes parents qui m’ont élevée avec mes frères, sans aucune distinction de genre. Ils m’ont inculqué l’idée que je pouvais faire aussi bien que les hommes qui m’entouraient. Cette éducation a été précieuse pour ne jamais abandonner, malgré les remarques sexistes et désobligeantes » explique-t-elle. C’est aussi sa ténacité et d’heureuses rencontres qui lui ont permis de franchir les obstacles dressés le long de son parcours.

Des découvertes scientifiques majeures

En 2002, Martine Caroff est directrice de recherche au CNRS. Elle extrait et produit des molécules naturelles, les endotoxines, à partir de bactéries, en proposant une méthode innovante respectant les standards de sécurité. Un chercheur du groupe l’Oréal lui fait prendre conscience de l’importance de ses travaux pour des applications industrielles. Un brevet est déposé par l’université Paris-Saclay (Paris XI à l’époque) qui l’invite aussi à aller plus loin. Travailleuse acharnée et passionnée, Martine Caroff poursuit ses recherches et proposera plus tard une autre innovation consistant à modifier ces molécules pour optimiser leurs activités biologiques tout en assurant leur innocuité chez l’homme. Plusieurs prix saluent alors la pertinence de ses projets et lui offrent l’enveloppe financière pour prendre son envol.

Du CNRS à l’entreprenariat

En 2011, après avoir suivi des cours d’entreprenariat à HEC, Martine Caroff créée sa première entreprise de biotech, hébergée sur le campus, avec le soutien de l’université Paris-Saclay et de l’I2BC : LPS-BioSciences. « Une de mes motivations était le sort des jeunes chercheurs que je formais. Très peu avaient la chance d’intégrer la recherche académique et jamais dans mon équipe. Avec mes projets, ils pourraient travailler sur des applications et faire bénéficier l’industrie de notre expertise » dit-elle. Depuis, la société a amélioré les méthodes de production et d’analyse de ces molécules d’intérêt. Aujourd’hui LPS-BioSciences accompagne les groupes pharmaceutiques pour mieux utiliser ces molécules et développer de nouveaux vaccins ou tests de diagnostic bactérien.

Des débouchés prometteurs en oncologie

En 2018, c’est la découverte de la capacité de nouvelles molécules qu’elle a développées, à potentialiser l’effet des anticorps contre le cancer, qui l’amène à créer une deuxième entreprise, Héphaïstos-Pharma. L’équipe de Martine Caroff, en collaboration avec le Centre de Recherche en Cancérologie de Lyon, a démontré sur plusieurs modèles animaux, l’action de ces molécules sur le renforcement du système immunitaire et l’élimination de tumeurs. L’intérêt est de la plus haute importance. Pour des cancers difficiles à traiter, les immunothérapies ne guérissent totalement que 10 % des patients traités. Avec les nouvelles molécules testées chez l’animal, le taux de succès passe à près de 70 %. Les 100 000 euros du prix européen « Woman Innovators 2019 » seront ainsi consacrés à de nouveaux recrutements et à la validation des molécules sur d’autres types de cancers. La société cherche à lever des fonds privés auprès de Business Angels fin 2019, puis de fonds d’investissement, fin 2020, pour développer ses produits jusqu’aux essais cliniques chez l’homme d’ici deux ans.

Une reconnaissance qui se confirme

En attendant, Martine Caroff est à la fois chercheuse, enseignante et entrepreneure. Inutile de lui demander de choisir l’un ou l’autre. « Sans ma carrière scientifique, je n’aurais pas été chef d’entreprise. Le principal est d’avoir une grande force de travail et de savoir réagir positivement aux embûches » assure-t-elle. Loin des discriminations, la biochimiste consacre sa vie à des recherches bénéfiques pour la santé de tous. A ses côtés, une équipe de collaborateurs passionnés et expérimentés chacun dans leur domaine, biochimie, industrie, business développement, oncologie et bien entendu, la CCI Paris Ile-de-France qui l’accompagne pour décrocher d’autres prix ainsi que l’accélérateur WILCO Healthcare pour développer l’entreprise. Aux dernières nouvelles, Héphaïstos-Pharma a déjà passé la phase 1 du concours européen H2020 pour les PME, et ce n’est que le début.