Commande publique et hausse des prix des matières premières
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Circulaire n°6374/SG du 29 septembre 2022 de la Première ministre aux préfets modifiant la circulaire n° 6338/SG du 30 mars 2022

Le contexte de pénurie et de flambée des prix des matières premières est susceptible de compromettre l’équilibre économique des contrats de la commande publique (marchés publics et concessions) avec des conséquences néfastes sur les entreprises.

Une circulaire du 30 mars 2022 a donné de premières instructions, une seconde est intervenue le 29 septembre 2022 pour prendre en compte l’avis du Conseil d’Etat n°405540 du 15 septembre 2022 relatif à la modification des contrats en cours et à l’application de la théorie de l’imprévision.

L’insertion de clauses de révision de prix dans les futurs contrats

En référence aux articles R 2112-13 et R 2112-14 du Code de la commande publique, la stipulation d’un prix ferme est interdite lorsque les parties sont exposées à des aléas majeurs au regard de l’évolution raisonnablement prévisible des conditions économiques.  

Selon l’article R 2112-14, les contrats dont la durée d’exécution est supérieure à trois mois et dont la réalisation nécessite le recours à une part importante de fournitures (notamment des matières premières) dont le prix est directement affecté par les cours mondiaux, comportent une clause de révision de prix incluant au moins une référence aux indices officiels de fixation de ces cours, et ce à peine d’engager la responsabilité du pouvoir adjudicateur. Les variations de prix sont appréciées à la hausse comme à la baisse. C’est le cas, notamment, dans les marchés de travaux et de transports.

La circulaire du 29 septembre 2022 demande que ces obligations soient « impérativement respectées » dans les futures procédures de passation de marchés, en particulier en retenant des fréquences, des références ou formules de révision de prix suffisamment représentatives des conditions économiques de variation des coûts des secteurs objets du marché et dans le cas des marchés de travaux allotis par corps de métiers. Sont notamment visés ici les indices. La circulaire demande aussi que les contrats conclus ne prévoient pas, sauf exception, de terme fixe au sein de la formule de révision des prix et n’incluent pas de clause butoir.

Modification des clauses financières des contrats en cours

La crise peut nécessiter la modification des contrats en cours afin de pouvoir poursuivre leur exécution dans des conditions acceptables. Les dispositions du Code de la commande publique (art. R 2194-5) prévoient que ces modifications doivent être rendues nécessaires par des circonstances impossibles à prévoir initialement par la personne publique contractante la plus diligente, ce qui vaut pour la crise actuelle liée à des événements internationaux. L’article R 2194-8 ajoute la possibilité de modification d’ampleur limitée.

Les modifications peuvent porter sur les spécifications du contrat ou les conditions d’exécution comme le remplacement d’un matériau frappé de pénurie par un autre disponible, les quantités à fournir ou les délais d’exécution. Chaque modification peut atteindre 50% du montant initial du marché.

Mais la question la plus délicate concerne la modification des clauses financières relatives aux prix. L’avis du Conseil d’Etat du 15 septembre 2022 prévoit des assouplissements sous conditions. Pour rappel, sur le fondement des principes de libre accès et d’égalité dans la commande publique, prohibant la remise en cause des conditions de mise en concurrence initiale, la modification du prix contractualisé est interdite. Mais l’avis considère que les articles précités (R 2194-5 et R 2194-8) sont applicables aux clauses de prix. Des conditions économiques nouvelles en cours de contrat peuvent justifier une renégociation des prix initialement contractualisés. Mais l’augmentation des dépenses exposées par l’entreprise ou la diminution de ses recettes imputables à ces nouvelles conditions doivent dépasser les limites ayant pu être raisonnablement envisagées lors de la conclusion du marché. Il ne saurait s’agir pour l’entreprise d’assurer la couverture de risques dont elle a tenu ou aurait dû tenir compte dans ses prévisions initiales.

La compensation est négociée dans la limite du montant nécessaire à la poursuite de l’exécution du marché en termes de continuité du service public et et de satisfaction des besoins de la personne publique (dans le respect des principes de bon emploi des deniers publics et de l’interdiction faite aux personnes publiques de consentir des libéralités). L’entreprise doit en apporter les justificatifs à vérifier par le donneur d’ordre. En tout état de cause, la limite de 50% du montant du contrat initial, prévue à l’article R 2194-5, est applicable.

S’agissant de l’application de l’article R 2194-8, des modifications de faible montant sont possibles à condition d’être dûment justifiées, mais elles sont doublement plafonnées : 

  • à 10% du marché initial en matière de fourniture et de services et un plafond de 140 000 € (Etat) et 215 000 € (collectivités locales) ; 
  • à 15% et un plafond de 5 382 000 € en matière de travaux.

Une précision, l’article R 2194-7 qui régit les modifications non substantielles n’exigeant pas une nouvelle mise en concurrence, n’est pas applicable à des circonstances économiques imprévisibles.

L’ensemble de ces modifications ne sont pas de droit pour l’entreprise et requièrent l’accord de la personne publique contractante.

La mise en œuvre de la théorie de l’imprévision

Bien connue en droit administratif, la théorie de l’imprévision, inscrite à l’article L 6 du Code de la commande publique, prévoit un droit à indemnité de l’entreprise contractante en cas de survenance d’un « événement extérieur aux parties, imprévisible et bouleversant temporairement l’équilibre du contrat ». L’indemnité tend à compenser les charges supplémentaires, dites « extracontractuelles » bouleversant l’économie du contrat, que l’entreprise doit supporter et qu’une simple clause de révision de prix ne saurait corriger. 

La crise actuelle remplit ces conditions : elle était imprévisible et est extérieure aux parties. Cela étant, l’appréciation du bouleversement de l’économie du contrat doit se faire au cas par cas au regard des spécificités du secteur économique concerné et des justifications apportées par l’entreprise. Il s’agira pour chaque contrat de déterminer l’existence de ces charges « extracontractuelles » pesant sur l’entreprise en raison de la pénurie ou de la hausse des prix des matières premières, en excluant toute autre cause ayant provoquée des pertes. L’estimation s’effectue en comparaison du coût de l’exécution du marché dans des conditions normales. L’entreprise doit, via la production de pièces comptables, être en mesure de justifier de son prix de revient et de sa marge bénéficiaire au moment de la remise de son offre au titre de la procédure d’attribution du marché ainsi que de ses débours en cours d’exécution. Il sera tenu compte également de la différence entre l’évolution réelle des coûts et celle résultant de l’application de la formule de révision.

Ni les textes ni la jurisprudence ne fixent de seuil au-delà duquel le bouleversement économique est avéré mais en pratique il est admis que ces charges « extracontractuelles » doivent avoir atteint 1/15ème de montant total HT du contrat initial ou de la tranche. 

Dès lors que l’état d’imprévision est caractérisé, l’indemnité est fixée là encore au cas par cas. La cause de la perte pour l’entreprise étant extérieure aux parties, elle ne saurait être supportée par la seule personne publique contractante. La jurisprudence estime la part d’aléas laissée à la charge de l’entreprise en moyenne à 10% du montant du déficit résultant de ces charges exceptionnelles et plus généralement privilégie une fourchette entre 5% et 25%. Cette appréciation repose sur différents critères : diligences mises en œuvre par l’entreprise pour se couvrir contre les risques économiques, taille de l’entreprise car une PME n’a pas les mêmes capacités pour anticiper et couvrir des aléas que des grands groupes.

L’indemnité peut être versée en fin de contrat ou par provision au fur et à mesure de l’exécution des prestations en cas notamment de difficultés de trésorerie.

En la forme, l’indemnité doit faire l’objet d’une convention spécifique s’étendant sur la période d’imprévision avec une clause de rendez-vous à l’issue du contrat pour fixer son montant définitif. Attention, il ne doit pas s’agir d’un avenant au contrat initial car l’indemnité n’a pas pour vocation de modifier l’accord d’origine des parties. 

La possibilité de résilier le contrat à l’amiable 

Le donneur d’ordre public peut aussi convenir avec l’entreprise titulaire du marché d’une résiliation :

  • soit à effet immédiat si les prestations peuvent être retardées ;
  • soit à effet différé pour laisser le temps nécessaire à l’organisation d’une nouvelle procédure de mise en concurrence aux conditions économiques actuelles. L’entreprise a alors droit à une indemnité d’imprévision pour la partie du contrat restant à utiliser et si les conditions de l’imprévision sont réunies.

Le gel des pénalités contractuelles

Tout en rappelant que l’augmentation des coûts ne saurait justifier que l’entreprise puisse se soustraire à ses obligations contractuelles, la circulaire pose le principe de la suspension des clauses contractuelles prévoyant des pénalités de retard ou l’exécution de prestations aux frais et risques de l’entreprise tant que celle-ci sera dans l’impossibilité de s’approvisionner dans des conditions normales. Le donneur d’ordre doit vérifier que cette suspension repose bien sur des circonstances extérieures à l’entreprise et non sur ses choix de gestion.

Transposition aux marchés privés de la commande publique

Lorsque des contrats de la commande publique constituent des marchés privés, l’article 1195 du Code civil s’applique et permet de renégocier un contrat « si un changement de circonstances imprévisible lors de la conclusion du contrat rend l’exécution excessivement onéreuse pour une partie qui n’avait pas accepté d’en assumer le risque ». 

Cette renégociation doit alors répondre aux règles posées par le Code de la commande publique (articles R 2194-5 sur les modifications en cours de marchés et R 2194-8 sur les modifications d’ampleur limitée).

Sources

Mis à jour le 16/12/2022
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