Lettre d'information mensuelle de la CCI Paris Ile-de-France consacrée à la gestion des ressources humaines : actualités, jurisprudence, fiches pratiques, outils, témoignages d'experts...
En cas de signalement d’un agissement susceptible de constituer un harcèlement moral, l’employeur a l’obligation de mener une enquête préalable avant toute prise de décision.
Selon l’article L4121-1 du Code du travail, « l’employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs ». L’employeur est donc tenu à certaines obligations en matière de sécurité et de protection de la santé de ses salariés et notamment lorsqu’il a connaissance de faits de harcèlement moral au travail ou de harcèlement sexuel. A défaut de respecter ces obligations, il peut voir sa responsabilité engagée.
En cas de signalement d’un agissement susceptible de constituer un harcèlement moral, l’employeur a l’obligation de mener une enquête préalable avant toute prise de décision afin de pouvoir prendre connaissance d’une part, de la réalité, de la nature et de l’ampleur des faits reprochés et de prendre les mesures appropriées et d’autre part de démontrer son absence de complaisance supposée face à une dénonciation des faits de harcèlement moral. Le manquement à cette obligation constitue une violation à l’obligation de prévention des risques professionnels.
Même si le code du travail n’a pas prévu de procédure spécifique pour mener à bien cette enquête, il est toutefois nécessaire de respecter certaines règles :
Rappel de la définition du harcèlement moral
Le code du travail en donne la définition dans son article 1152-1 : « Aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel. »
De même le code pénal dans son article 222-33-2 rappelle que le harcèlement moral étant un délit, il est puni de 2 ans d’emprisonnement et de 30 000 euros d’amende.
« Le fait de harceler autrui par des propos ou comportements répétés ayant pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel, est puni de deux ans d'emprisonnement et de 30 000 € d'amende. »
Ainsi pour qu’il y ait harcèlement moral il faut des agissements qui soient répétés (un acte isolé ne permet pas de caractériser le harcèlement moral à la différence du harcèlement sexuel), pas forcément rapprochés ni d’une durée importante, mais qui ont pour effet de porter atteinte aux droits du salarié et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.
- La victime peut être tout salarié qu’il soit en CDI, CDD, stagiaire ou alternant
- Le harcelant peut être tout représentant de l’employeur mais également tout collaborateur, d’un même niveau ou inférieur (harcèlement ascendant) ou même un tiers à l’entreprise (Cass. Soc. 30 janvier 2019, n°17-28.905).
Qui peut mener l’enquête pour harcèlement moral ?
En vertu de la loi, les obligations en matière de prévention et d’intervention dans le domaine du harcèlement en milieu du travail appartiennent essentiellement à l’employeur mais ce dernier peut décider de déléguer l’enquête notamment au service RH.
Le mandat d’enquête est incompatible avec les fonctions d’une personne qui supervise directement les personnes concernées.
Dans tous les cas la personne désignée pour mener l’enquête, doit faire preuve d’un savoir-faire avéré et posséder une expérience et des connaissances suffisantes ainsi que des attitudes nécessaires pour le bon déroulement de l’enquête.
Les représentants du personnel peuvent être aussi associés pour garantir l’objectivité de l’enquête et apporter des renseignements contextuels méconnus de l’employeur. Il n’y a aucune obligation cependant de les associer, c’est ce que rappelle la Cour de cassation dans un arrêt n°20-22 058 du 1er juin 2022, en indiquant que le contenu d’une enquête interne ne peut pas être écarté au motif que celle-ci a été confiée à la direction des ressources humaines et non pas au CHSCT (remplacé aujourd’hui par le CSE).
D’autre part, des interlocuteurs extérieurs à l’entreprise peuvent aussi assister l’employeur lors de son enquête comme le médecin du travail qui pourra établir les conséquences médicales et les actions à mener pour garantir une protection de la santé physique et mentale du salarié qui se déclare harcelé, les experts en risques psychosociaux et/ou l’inspection du travail qui pourront proposer des solutions pour éviter que la situation ne se reproduise. Ne pas hésiter non plus à faire appel à un avocat pour éviter tout contentieux juridique.
Quel est le délai pour déclencher l’enquête ?
Dès que l’employeur ou son représentant a connaissance d’une possible situation de harcèlement moral soit par ses propres collaborateurs, soit par la victime elle-même ou encore par les délégués du personnel, celui-ci doit déclencher sans délai l’enquête interne afin de protéger la victime et de sanctionner le salarié fautif en cas de harcèlement avéré et cela même s’il est convaincu que cette plainte est infondée. (Cass., ch. soc., 27 novembre 2019, n°18-10551). Tout retard pourrait entraîner des soupçons de collusion interne.
D’autre part, s’il tarde trop, le licenciement du salarié auteur du harcèlement peut être qualifié de licenciement sans cause réelle et sérieuse (Cass. soc., 29 juin 2011, no 09-70.902).
Comment mener l’enquête ?
Les modalités de l’enquête pour harcèlement moral n’étant pas définies par le Code du travail, c’est la jurisprudence qui est venue encadrer les modalités de l’enquête.
Ce qui signifie que c’est à l’employeur de choisir librement comment organiser cette enquête tout en tenant compte des éléments jurisprudentiels.
L’employeur ou son représentant doit mener une étude approfondie de la situation. Toutefois cette enquête interne doit être menée de manière contradictoire. Elle doit être exhaustive, impartiale et confidentielle. A cette fin, il est notamment conseillé de prévoir en amont un questionnaire type pour éviter toute impartialité.
L’employeur ou son représentant devra procéder à :
- Une entrevue de la victime avec le médecin du travail ;
- Un entretien avec la victime sur les circonstances du harcèlement ;
- Une audition des collègues du travail ;
- Une audition de l’accusé.
Étant donné la gravité d’une situation de harcèlement qui justifie des poursuites pénales et risque d’entraîner l’expulsion du salarié fautif, voire la mise en cause de la responsabilité de l’employeur au titre de son obligation de sécurité de résultat, il est préférable que l’employeur ou son représentant constitue un dossier complet et rédige un rapport d’enquête avec les pièces justificatives comme :
- Des témoignages par écrit,
- Des préconisations de la médecine du travail,
- Des comptes rendus écrits des auditions (victime et accusé),
- Des antécédents (sanctions disciplinaires pour des faits de harcèlement similaires et rapports sur des faits antérieurs),
- Des conclusions et préconisations.
N.B : En 2020 la Cour de cassation a toutefois donné la possibilité à l’employeur de n’entendre dans le cadre de l’enquête interne, qu’une partie des salariés, potentiellement victimes de harcèlement.
De même, la Cour de cassation dans un arrêt en date du 29 juin 2022, s’est prononcée sur le respect du principe du contradictoire et des droits de la défense du salarié en cas d’enquête interne. L’enquête interne diligentée suite à la dénonciation de faits de harcèlement moral n’impose à l’employeur ni d’entendre le salarié accusé, ni de lui donner accès au dossier.
La Cour de cassation affirme que le respect des droits de la défense et du principe de la contradiction n’impose pas que, dans le cadre d’une enquête interne destinée à vérifier la véracité des agissements dénoncés par d’autres salariés, le salarié ait accès au dossier et aux pièces recueillies ou qu’il soit confronté aux collègues qui le mettent en cause ni qu’il soit entendu, dès lors que la décision que l’employeur peut être amenée à prendre ultérieurement ou les éléments dont il dispose pour la fonder peuvent, le cas échéant, être ultérieurement discutés devant les juridictions de jugement.
Voir arrêt Cour de cassation n°20-22.220 du 29 juin 2022
Quel est le délai de prescription pour la procédure disciplinaire ?
Le délai de prescription pour sanctionner les faits de harcèlement commis par un salarié sur d’autres salariés de l’entreprise est de 2 mois.
Selon l’article L1332-4 du Code du travail, « aucun fait fautif ne peut donner lieu à lui seul à l’engagement de poursuites disciplinaires au-delà d’un délai de deux mois à compter du jour où l’employeur en a eu connaissance, à moins que ce fait ait donné lieu dans le même délai à l’exercice de poursuites pénales ».
Par conséquent, dès que l’employeur a connaissance d’une faute commise par un salarié, il dispose d’un délai de deux mois pour le convoquer à un entretien préalable ou lui adresser un avertissement.
Ainsi, lorsqu’une enquête interne est diligentée, le délai de prescription commence à courir à la date de la clôture de l’enquête.
Employeurs, avez-vous pris des mesures pour éviter que vos collaborateurs ne soient confrontés à des situations de harcèlement sexuel ou d’agissements sexistes ?
L’employeur est tenu de prendre toutes les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale de ses salariés.